Loin des clichés – Mapuche de Caryl Ferey

Patagonie, fin du 19ème.

Les carabiniers s’emparent à gros coups de fusils des terres ancestrales des autochtones pour agrandir leur territoire et enrichir l’Argentine alors en pleine expansion. Ils chassent, dépossèdent, exterminent. Les Mapuche installés depuis des siècles, sont forcés de fuir, de franchir les montagnes vers le Chili ou d’adopter les lois de l’oppresseur et de renier leurs racines, leur histoire. Jana est Mapuche.

Buenos Aires, 1978,

Une Ford Falcon verte, sans plaque roule lentement dans les rues de San Telmo. Elle s’arrête, deux hommes en descendent et s’emparent d’un frère et d’une sœur adolescents, innocents dont le seul crime apparent est d’avoir un père poète. La dictature militaire sévit depuis 2 ans et les disparus ne reviennent jamais. Sauf Ruben. Il fait partie des quelques uns relâchés pour raconter l’horreur, rendre la menace réelle pour ceux qui seraient encore tentés par des actes de rébellion ou de subversion. Mais Ruben reste muet, il cadenasse au plus profond de son âme tout de l’abomination, de l’horreur et des conditions de disparition de sa petite sœur et de son père.

Buenos Aires, 2012.

Jana est devenue sculptrice. Elle survit dans un squat. Loin de « l’exemple argentin », elle vit dans un monde d’indigents, de cartoneros, tous victimes de la crise TOTALE de 2001. C’est dans ce nulle part de misère qu’elle rencontre Paula/Miguel, travelo qui jongle entre les auditions pour les revues fantasques, le tapin sur les docks du port de la Boca et la blanchisserie familiale ou croupit sa mère folle à lier.

Ruben est devenu détective privé, il traque sans relâche les tortionnaires de la dictature  pour le compte des mères de la place de mai, les mères des disparus, des 30 000 qui ne sont jamais revenus.

La mort violente de Luz partenaire de tapin de Paula va embarquer les héros écorchés de ce roman noir, et nous pauvres lecteurs avec, des bas fonds de Buenos Aires, aux contreforts des Andes, en passant par le Delta du Tigre, dans la spirale de l’histoire la plus sombre de l’Argentine.

Caryl Ferey nous malmène. Son style énergique, honnête et ultra violent décrit les disparitions, les enfants des disparus adoptés illégalement par leurs tortionnaires, les corps balancés des avions dans le Rio, mais aussi les plaies laissées béantes par les drames successifs de l’argentine: les crises économiques, la corruption, le mensonge, l’oubli. Il nous rappelle que la violence de l’homme ne connait pas de limites.

En refermant le livre après 24h d’une lecture affamée, j’ai ouvert les yeux. L’Argentine de Jana, Paula, et Ruben,  celle des routes défoncées, des gamins loqueteux, celle des victimes des conquistadors, ou des politiciens véreux,  la brutale réalité, celle qui dément les clichés, loin très loin du polo ou des terrasses de Palermo, je ne l’avais pas vue. Et pourtant, j’ai pu croiser Jana, Ruben ou Paula dans un café de San Telmo ou sur la 9 de Julio.

Mes copines de la sortie de l’école ont vécu la dictature et toute son horreur. Personne n’en parle. Et pourtant en les regardant je me demande combien d’entre elles ont connu un de ceux qui  ne sont jamais revenus. Si elles se demandent parfois si elles sont bien les enfants de leurs parents?

mapuche

Mapuche a reçu le prix du meilleur polar 2012 attribué par le magazine Lire.

Caryl Férey vit à Paris. Après s’être aventuré en Nouvelle-Zélande, avec Haka et Utu, puis en Afrique du Sud avec Zulu, dix fois primé et traduit en dix langues, il fait, avec Mapuche, ses premiers pas sur le continent sud-américain.

Mapuche, Serie Noire, Gallimard, 2012.

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