Si tu vas à Rio, c’est bien connu, n’oublie pas de monter là haut.
Mais si tu vas à São Paulo, c’est moins connu, n’oublie pas de regarder là haut.
Tu y verras l’expression d’une ville fascinante : les pixos (prononcé Picho).
Source : Pixação: São Paulo Signature, François Chastanet
São Paulo est une ville titanesque, la plus grande d’Amérique latine et une des 5 plus peuplées du monde. 20 millions de personnes y vivent plus ou moins bien car comme dans toute mégalopole qui se respecte les plus grandes richesses côtoient la plus grande misère. São Paulo est une ville belle et dangereuse, ultra dynamique et désœuvrée, forêt de béton et d’arbres exubérants, São Paulo vibre et palpite et São Paulo parle.
C’est ce langage qui a retenu ton attention. Au premier regard tu as pensé que des sauvageons avaient salement taggé les immeubles et au deuxième tu t’es dit qu’il y avait une harmonie dans tous ces tags, une unité, comme s’ils se répondaient d’un immeuble à l’autre. Tu as vu ce qui ressemble à des lettres étranges qui occupent toute la surface disponible et visible d’un immeuble. Ce sont les pixos.
Les pixos sont des tags nés à São Paulo, ils sont l’identité de la ville, la fierté de sa sous culture. D’ailleurs pixo (avec un x) vient de Pichação, qui littéralement signifie tag, (en anglais, étiquette) inscription réalisée à la va vite sur un mur, avec de la peinture difficilement effaçable. Le pixo, avec un x, est le tag de São Paulo. Il s’est aujourd’hui répandu dans d’autres grands centres urbains du Brésil, comme Rio de Janeiro ou Belo Horizonte.
Le mouvement est né dans les années 80. Après les messages de contestation politique qui envahissaient les murs pendant les années de la dictature, sont apparues sur les façades des immeubles des lettres étranges. Inspirées des lettres runiques et gothiques, lettres antiques des peuples barbares du nord de l’Europe elles étaient utilisées à l’époque par les groupes de Hard Rock, d’autres barbares : KISS et Iron Maiden par exemple. Tu n’associes pas forcément le Brésil au Hard Rock mais tu as tort, souviens-toi du succès international du groupe Sepultura !
Comme l’univers musical qui l’inspire, le langage du pixo est binaire : une seule couleur, noir, blanc ou rouge, et des signatures, comme des logos. Contrairement aux tags de contestation politique qui véhiculent un message, le pixo est une expression artistique pure. Il est la signature du pixador qui met beaucoup de cœur dans le processus de création de son identité visuelle.
Exemple de pixos. Source : Pixação: São Paulo Signature, François Chastanet
Ce n’est pas tant la signification qui importe mais bien plus le tracé et le mouvement qui sont essentiels. Rien n’est improvisé, la façade est considérée comme une feuille blanche à l’échelle de la ville. L’interlettrage est rigoureux, le but est d’occuper l’espace au maximum quel que soit le nombre de lettres à caser. Individuellement c’est sans intérêt, c’est dans l’immensité de la ville qu’il faut regarder. Les pixos suivent les lignes verticales de la ville comme si São Paulo était un cahier de calligraphie et à l’époque du tout clavier, des lettres tracées à la main sont les derniers vestiges de cet art ancestral.
La performance compte autant que la signature. Il y a une hiérarchie dans le pixo : Le pixo « de sol », celui « de fenêtre » et celui du « pic » ou « escalade », le plus périlleux. Parfois la bombe est tenue à bout de bras, parfois c’est un rouleau avec manche télescopique manipulé la tête en bas pendu par les pieds au toit d’un immeuble. Plus c’est haut et donc dangereux, plus c’est bon. A l’adrénaline de l’escalade s’ajoute celle de l’interdit, car évidemment, c’est totalement illégal.
« Rolê de chão », au sol, la plus ancienne technique du pixo. photo: Choque, Revista Piaui.
« pes nas costas », pieds sur les épaules. photo: Choque, Revista Piaui.
« janela de predio » technique de la fenêtre. photo: Choque, Revista Piaui.
« Topo de predio » sommet de l’immeuble. photo: Choque, Revista Piaui.
Le pixo en tant que tel n’a donc aucune signification littérale mais il est le langage de tout un peuple, celui de la périphérie. Ce sont ceux qui n’ont rien, les habitants des favelas, relégués loin du centre urbain riche et dynamique, qui revendiquent leur existence. Ils marquent le territoire, s’approprient l’espace, de préférence l’espace bourgeois du centre ville et les immeubles les plus visibles ou emblématiques. Le pixo est visuellement agressif et ne cache pas sa volonté de dégrader le paysage urbain. C’est un mouvement énervé, violent, dangereux mais aussi un mouvement de libération de la parole et de reconnaissance sociale. Le pixador fait partie d’un Crew, d’une équipe. Il a des frères et des sœurs, parce que oui, il y a des filles et ensemble ils accomplissent leur mission. Le pixo n’est pas une activité pour loup solitaire, mais plutôt pour meute solidaire. Il faut pouvoir compter sur ses potes pour faire des pyramides humaines et atteindre les sommets. Les pixadores se retrouvent régulièrement lors de grandes fêtes underground, animées par des éminences du hip hop brésilien telles que Mano Brown des Racionais MCs (le Hard Rock c’est has been même au Brésil) . Ce ne sont pas des enfants de cœur, bien sûr, mais en plus de la maconha (herbe locale), ils font tourner des feuilles A4 avec leurs signatures qui sont précieusement archivées dans des classeurs. Ces feuilles sont des documents historiques, la preuve de l’existence du pixo qui par définition est voué à disparaitre du mur.
Invitation à une fête de pixadores.
Le pixador Djan montre son classeur.
Preciosa, pixadora, en pleine action.
Dans ces grands rassemblements on évoque les anciens des années 90, les héros. Entre autres, #DI# (le # est d’époque, comme quoi #DI# était un précurseur). Il est mort maintenant (tué par balle en 1997 dans les chiottes d’une boite de nuit) mais il laissé son empreinte pour la postérité en écrivant son nom sur un des bâtiments les plus emblématiques de la ville: « le Conjunto Nacional » sur la très centrale et très passante Avenida Paulista. En 2016, une galerie huppée de la ville lui a consacré une exposition. Évidemment il s’agit de photos, les pixos sont indissociables des murs sur lesquels ils sont griffés. D’ailleurs quand certains pixadores collaborent avec de grands marques pour vendre des t-shirts ils font attention à bien différencier une activité commerciale (il faut bien bouffer) d’une activité artistique et ne manquent pas de souligner que lorsque le pixo n’est pas sur le mur il perd immédiatement son statut de pixo.
Coupure de journal de l’époque. Pour la petite histoire, c’est #DI# lui même qui avait téléphoné au journal se faisant passer pour un voisin indigné.
João Doria, récemment élu préfet de la ville est en croisade contre les pixadores. C’est bien plus facile de repeindre un mur que d’améliorer le système d’éducation ou de santé, et en plus ça se voit. D’abord il a classifié les pixadores en deux catégories : les graffeurs qui font de l’art, et les pixadores qui ne sont que des vandales. Les premiers ont le droit d’exercer leur art dans certaines rues attitrées, les seconds sont pourchassés dans relâche. Les pixadores ricanent : rien ne les excite plus que l’interdit et en plus ils sont maintenant porteurs du message de toute une ville, voire de tout un pays : dehors les politiciens corrompus ! Le pixo évolue, ou plutôt renoue avec ses racines : des messages lisibles de contestation politique sont désormais juxtaposés au pixo.
Aux États Unis et en Europe, le tag disparaît et le Graph ressurgit dans des galeries d’art spécialisées, mais à São Paulo, le pixo a encore de beaux jours devant lui.
São Paulo, capital da pixação. Promenade à bord d’un drone dans les rues de São Paulo réalisée par le collectif Ardepixo.
Maintenant, Art ou Vandalisme ? C’est à toi de voir. Tu peux réfléchir à la question en regardant le clip de Racionais Mcs (avec une spéciale dédicace à la jolie vendeuse minute 6:02).
Sources :
Pixação: São Paulo Signature, françois Chastanet, XGpress
The Guardian : Pixação : The story behind São Paulo angry alternative to Graffiti
PIXO, Documentaire de 2010 de João Wainer et Roberto T. Oliveira
www.ardepixo.com.br Collectif visant à promouvoir la connaissance du pixo
Bravo pour ce reportage original et intéressant. Une facette méconnue des étrangers qui regarderont dorénavant Sao Paulo d’un autre oeil.